En fait, j’allais loin. J’avais beau essayer de leur parler, mais ils m’écoutaient jamais. Pourquoi? Est-ce que j’existais plus? C’est pas comme si j’étais morte comme maman, je vais juste en prison. La prison c’est grand et y’a plein de monde, alors ça peut pas être terrible. C’est un peu comme l’école, je crois.
La voiture allait très vite, la route bougeait tout le temps, c’était assez drôle de sauter sur le siège parce qu’à chaque fois un nuage de poussière s’envolait et ça piquait les yeux. Du coup j’étais tellement bien que j’ai pas vu le temps passer. Mais là, ça y est, on y était.
Ca faisait penser au château d’une sorcière ou un truc comme ça. J’en avais jamais vu avant, c’est assez joli. On aurait été bien là, tous ensemble, mais maintenant je suis toute seule, j’ai pas fait exprès. Tout les gens dedans sont méchants. Ils sont mauvais, comme Ernestine. Peut être ils n’ont pas fait exprès, ou peut être ils sont vraiment horribles. Est-ce que des gens tous pareils peuvent s’entendre? Les méchants aiment les méchants et les gentils aiment les gentils. Ca marche souvent comme ça, non? De toute façon je le verrais bien moi-même. J’ai hâte.
« C’est là, sors très vite de cette voiture et avance, on te surveille de loin. »
En fait, ils s’en fichent royalement de moi. Au début je m’en doutais, mais là c’était sûr. Jamais personne ne m’a considéré comme quelqu’un dont on peut s’en moquer. C’était pas possible parce que je fais toujours quelque chose qui attire l’attention. On peut pas s’en foutre de moi, j’ai besoin d’attention ! Normalement ils devraient venir avec moi, mais ils préfèrent me laisser toute seule. Pourquoi? Est-ce qu’ils le font avec tout le monde? Je sais que si je leur demande ils me diront rien, parce qu’ils ne me parlent pas. J’ai beau les regarder, ils préfèrent parler entre eux en souriant. J’ai l’air de rien comme ça au milieu de nulle part, toute seule, immobile.
J’ai envie de pleurer. Ca m’énerve qu’on me laisse toute seule avancer vers ce grand truc. T’façon c’est moche. En plus j’ai même pas le droit d’apporter des affaires. Même quand je veux pas pleurer je sens toujours les larmes qui montent et qui coulent. Ca m’énerve. J’ai jamais le droit de décider de rien.
« AVANCE PLUS VITE ! On a pas que ça à faire merde ! »
J’aime pas quand on me crie dessus. J’aime pas quand des gens qui s’en fichent de moi me parlent, j’avancerais si j’ai envie.
Derrière moi, y’a plein de poussière, parce que quand on traine des pieds y’a tout qui s’envole. Je sais que j’arriverai à me retenir de pleurer si je pense à autre chose. J’ai qu’à marcher jusqu’au grandes grilles. Marcher, marcher, marcher. Marcher encore. Des poissons, de la terre, de l’eau. Des grilles. Moche. Comme tout ici…. Non faut pas que je pleure. Les grilles sont juste là devant et la voiture part.
Je veux rentrer chez moi. Je peux toujours faire demi tour. Même si le grand pont marron est fermé… Est-ce que quelqu’un me regarde? Il y a quelqu’un qui me regarde, c’est forcé. Sinon comment le pont se fermerait après moi? Pourtant, je ne vois rien, si ce n’est la grille. J’arriverai pas à ouvrir toute seule cette grille. Je sais pas faire. Et puis je veux rester là, à rien faire. J’irais dedans quand je voudrais plus pleurer. En attendant, les poissons. J’en avais jamais vu d’aussi gros et d’aussi près. Ce qui est dommage c’est que ça soit tout sale et que les poissons ont l’air bizarres. On a l’impression qu’ils sont tout gros et malades. Peut être que si je tombe dans l’eau ils me mangeraient? Ca serait marrant. En attendant, je vais les regarder. Si tout le monde s’en fiche de moi, que je vienne ou pas ne changera rien…
Jeu 3 Sep - 21:05